DISCIPLINES
Danse
La danse folklorique franco-albertaine
Comment la danse s’est-elle développée dans la communauté francophone de l’Alberta au fil des ans? Dans l’espoir de répondre à cette question et à bien d’autres encore, nous avons consulté les quatre journaux francophones suivants : le Courrier de l’Ouest (1905 à 1916), l’Union (1917 à 1929), La Survivance (1928 à 1967) et Le Franco-albertain (1967 à 1974), un travail qui couvre 70 ans d’histoire et 227 éditions, un travail qui nous a permis de développer une première vue d’ensemble du développement de la danse dans la communauté francophone.
De 1905 à 1927
Bien qu’il y ait très peu de mentions de la danse dans les journaux publiés pendant la période allant de 1905 à 1927, une mention est d’un intérêt particulier. Il s’agit de la coutume, au Petit Lac des Esclaves, de tenir au jour de l’An, un grand bal et un festin pour les Cris de la région et des environs, le tout organisé par la compagnie de la Baie d’Hudson et la maison Révillon Frères. En 1908, plus d’un millier de gens se sont réunis pour la fête et la danse a duré toute la nuit. Selon le Courrier de l’Ouest, l’événement est répété en 1909.
Dans 44 éditions du Courrier de l’Ouest, (1905 -1916) on ne retrouve que quelques mentions de la danse. Il s’agit de rencontres familiales lors d’anniversaires de mariage ou de célébrations pendant le temps des fêtes.
Publié de 1917 à 1929, il ne reste maintenant que 32 éditions du journal l’Union. Or ces éditions ne mentionnent la danse qu’une seule fois. Il s’agit d’une rencontre organisée en 1927 par les Bonnes amies, un groupe de jeunes filles fondé à Edmonton en 1925.
Pendant les année ’20 ’30, la danse est vue d’un bon œil et on danse pour plusieurs raisons. On danse pour marquer des occasions spéciales tant civiles, que religieuses et politiques. On danse lors de fêtes traditionnelles telles que le Jour de l’An et la Sainte-Catherine car on croit que ces fêtes évoquent de vieux souvenirs ainsi que tout un ensemble d’anciennes coutumes familiales.
Et puis la danse fait partie des efforts de la guerre à titre de source de distraction et de levées de fonds. Par exemple le 30 septembre 1942, l’Assemblée générale de la Fédération des jeunes de la ville de Calgary a lieu dans la salle de l’église du Sacré-Cœur. Lors de cette rencontre, la Fédération décide de donner des danses deux fois par mois pour récréer les soldats et aviateurs.
La danse fait aussi partie des soirées de famille. Dans tous les exemples de rencontres de familles que nous avons trouvés pendant les années ’20 à ’30, les gens jouent aux cartes, ils chantent et ils dansent comme autrefois à la mode ancienne au son du piano, du violon et de la musique à bouche.
Alors que dans l’intimité des soirées de famille tout le monde danse, publiquement, la danse fait plutôt partie de diverses autres activités telles que des concerts de musique et de chants, des festivals, et des parties de carte. Et plus souvent qu’autrement, les danseurs sont des enfants ou des jeunes qui exécutent des danses préparées que l’on nomme « drill ».
Plus les années avancent, plus les associations organisatrices d’activités de danse sont diverses et prestigieuses. Parmi ces associations, il y par exemple le Cercle local de l’ACFA à Morinville, les anciens du Collège des Jésuites. Les Bonnes amies organisent souvent des veillées de danse et de chansons pendant la période allant de 1932 jusqu’en 1941.
Ces soirées sont souvent sous le patronage de gens haut placés et bien vus dans la communauté. Par exemple en 1939, le Cercle français de l’Université organise une danse de fin de session.
Cet exemple et tant d’autres recueillis dans le journal La Survivance démontrent qu’à compter des années ’20, plus les associations prestigieuses organisent des soirées de danses plus la danse est vue d’un bon œil.
Mais cela ne dure pas car plus les années avancent plus la danse est mal vue par l’Église et par certains membres de la société. En 1929, la Survivance décrit la danse comme étant une coutume barbare. La même année, La Survivance publie un article sans titre dans lequel on lit ceci :
« La danse, les théâtres sont des amusements contraires à notre conception de catholiques français, Nous sommes les héritiers de la France chrétienne dans une Amérique païenne. » (L.S. 1929 le 10 octobre p.1)
On craint aussi l’américanisation qui s’infiltre dans les industries dans la littérature, dans la musique et le théâtre. On croit que tous les divertissements tels que la danse éloignent les francophones de la terre que l’on considère comme étant le seul moyen de sauver la francophonie et survivre à la vague assimilatrice.
Mais au début des années ’40 les questions qu’on se pose sont les suivantes: la danse est-elle toujours défendue? Est-elle toujours immorale? Certaines voix cherchent à établir un équilibre. Lorsque l’on juge les danses du point de vue de la moralité, il y a des danses acceptables : les danses nationales, danses de folklore, les rondes enfantines, les ballets. Mais on condamne la valse viennoise, le fox trot, le tango, le shimmy, etc….
Lentement de 1941 à 1965, la perception de la danse change et au fil des ans on remarque que les regroupements et institutions voient la danse comme étant une partie normale des activités et des événements qu’ils organisent. Plus elle est bien vue plus ont l’inclut dans les célébrations telles que La Cabane à sucre et les grandes fêtes.
Le 21 mai 1958, dans un article intitulé « Excellent festival de la chanson française », l’auteur, Jean Patoine o.m.i, souligne l’importance de la danse ainsi :
« …Nous avons à juste titre la réputation d’être un peuple qui aime le beau et qui manifeste sa joie de vivre par des formes artistiques telles que le chant et la danse. (L.S. le 21 mai 1958 p.2)
Si la danse est devenue une partie normale de la vie cela s’est produit en partie à cause de l’importance que l’on attribue à la danse folklorique et l’intérêt que l’on démontre au folklore en général. En effet, dans les années ’40 et ’50. C’est un retour aux sources où la danse folklorique devient un moyen de se définir, de célébrer et de s’affirmer.
Mais quel a été l’étincelle qui a mené à cette inclusion de la danse folklorique comme moyen d’expression et de célébration dans un nombre important d’organismes y inclus les écoles, les collèges, les regroupements de jeunes et de moins jeunes?
Quelques événements qui influencent le développement de la danse folklorique franco-albertaine
Bien que les « …chants de folklore, de même que les danses et les mimes inspirés de notre folklore ont acquis une certaine popularité dans les collèges et couvents ». (L.S. le 7 décembre 1948 p 6) il n’y a pas encore de troupes de danse folklorique stable. Ce qu’il faut, c’est un genre d’étincelle qui va mener à la formation de troupes ayant pour but la célébration de l’identité culturelle des francophones un peu partout au Canada et la réponse au problème angoissant de la perte des loisirs.
Au Québec, un groupe de jeunes crée « l’Ordre de Bon Temps » en janvier 1946. C’est un moment clé, un moment d’éveil chez les jeunes.
Les soirées populaires de « l’Ordre de Bon Temps » vont attirer jusqu’à 5,000 personnes. Dans plusieurs villes, on danse et on chante sur la place publique. Les paroisses mettent leurs salles à la disposition des équipes.
On ose croire que les effets de « l’Ordre de Bon Temps » se font sentir jusqu’en Alberta puisque le journal La Survivance n’hésite pas de parler des succès de la troupe québécoise.
1967 est l’année du centenaire du Canada. Partout au pays on parle de culture et d’identité. On cherche un moyen de célébrer 100 ans d’histoire par un retour aux sources. Le folklore devient alors un objet d’étude et de recherche en plus d’être un moyen de célébrer et d’affirmer son identité.
L’Expo ’67 et les quelques années qui précèdent et celles qui suivent sont une invitation à la création de troupes et de groupes artistiques de tous genres, surtout puisqu’à compter de 1969, la communauté francophone a accès aux fonds du Secrétariat d’État.
De plus, pendant cette période, on se donne de nombreux lieux de rencontre. Maintenant on danse à la « Boite à Chanson » et on parle du besoin de se doter d’un centre culturel à Edmonton. À Falher on parle de l’ouverture officielle du « Rouet », un club des jeunes.
La disponibilité de nouveaux lieux de rencontre, la création de grands rassemblements qui célèbrent le retour aux sources, la popularité du folklore, le désir de découvrir et d’affirmer son identité franco-albertaine et le goût de créer ses propres regroupements dans le domaine des arts, particulièrement dans les domaines du chant et de la musique, tout cela marque un nouvel élan qui va mener à la création de troupes de danse folklorique un peu partout dans les centres francophones de la province.
Parmi tous ces événements et ce nouvel élan qui marquent la communauté franco-albertaine à la fin des années ’60, il y a la création, au Québec, de la troupe de danse « les Feux-Follets ». C’est un groupe de jeunes désireux de consacrer leurs loisirs à la danse, de se concentrer particulièrement dans la recherche et l’étude du folklore canadien et l’interprétation de danses authentiquement canadiennes. Leur succès ne passe pas inaperçu en Alberta.
Et puis il y a la troupe les Farandoles une troupe de 13 danseurs. Subventionné par les programmes de Perspective-Jeunesse, « les Farandoles », parcourent l’Ouest canadien pour partager et stimuler un enthousiasme aux éléments folkloriques du Canada.
À la fin des années ’60, l’ACFA reconnaît le besoin d’organiser des cours de formation offerts par des Franco-albertains qui vont s’engager à fond de train dans le domaine de l’organisation de soirées et de danses folkloriques. En 1972, l’ACFA est à la recherche de 5 candidats désireux d’assister à l’une ou l’autre de deux sessions de danses folkloriques : une qui se tiendra en août à la Calèche Ste-Agathe Québec où les stagiaires recevront une formation pour animer les soirées de danses et l’autre qui se tiendra à l’Université de Sherbrooke où l’on favorisera la formation de professeurs en danses folkloriques.
Il y a des conditions toutefois. Les participants devront s’engager à se dévouer durant une période d’au moins une année dans le domaine de l’organisation de soirées ou de danses folkloriques.
En octobre 1974, 40 jeunes participent à une session de danse folklorique qui a lieu à Saint-Paul à l’invitation de Mme Lise Holton. La session a eu lieu grâce à une subvention du Conseil canadien des Arts populaires.
On espère que la session aura des effets multiplicateurs et que de retour chez eux, les participants vont partager ce qu’ils ont appris. En effet l’accès à des sessions de formation, à des lieux de rencontre et à des fonds, tout ça va mener à la création de troupes stables. En voici quelques exemples.
La troupe les Blés d’Or
« Les Blés d’Or » est la première troupe de danse traditionnelle canadienne-française en Alberta et la première à enseigner la danse traditionnelle. En 1972, l’ACFA régionale de St-Paul offre pour la première fois des cours de danse folklorique dans le Centre culturel du village.
Entre 1976 et 2001, la troupe « Les Blés d’Or » offrent plus de 100 spectacles dans les écoles, lors des festivals et des événements spéciaux. La troupe fait aussi des tournées nationales et internationales et agit comme ambassadeur à travers l’Alberta, le Québec les Territoires du Nord-Ouest et en Europe.
La troupe donne d’innombrables cours de gigue et de danse et crée un tremplin pour d’autres danseurs tels que « les Tourbillons » « les Girouettes »,et les « Giguers » de Bonnyville.