ARTISTES
Inge ISRAËL
16 juillet 1927 – 5 aôut 2019
Inge (Marguliès) Israël naît à Francfort d’un père polonais et d’une mère russe. À cause de l’agitation causée par la montée du mouvement naziste des années 1930, les déplacements font partie de sa vie dès son bas âge, car ses parents fuient avec elle en France. Inge est placée dans des foyers pour enfants en Belgique, en Suisse et en France (où elle fait ses six premières années d’école) par un comité en charge des réfugiés allemands. Ce n’est qu’à l’âge de dix ans qu’elle retrouve ses parents en Irlande, puis les accompagne au Danemark. Éventuellement, Inge maîtrise quatre langues : français, anglais, allemand et danois. La jeune fille publie d’ailleurs un premier texte en danois à l’âge de dix ans. La réserve, la grâce, la compassion et la sensibilité de celle qui devient une femme de lettres remarquable ont été forgées par un quotidien incertain mais riche en possibilités. Inge rend hommage à sa mère dans « Kaddish (une prière aramaïque)», un poème de son recueil de poésie Aux quatre vents (les Éditions du Vermillon, 1990).
Kaddish – pour ma mère
Comme Chagall, tu étais le village,
le violoniste sur le toit,
le marchand de bétail,
la trayeuse planant avec ses vaches,
au-dessus des coupoles de Vitebsk
où, enfant, tu te perchais
sur quelque hauteur, et écoutais
les promesses passionnées
de liberté aux opprimés.
Le train renversé de Chagall
fut celui qui t’amena
à travers l’Europe jonchée de débris,
celui qui fit sauter une mine,
et les piétons à l’horizontale
embarqués dans une collision
ne t’étaient pas inconnus.
Tandis que les chansons de ton pays
fouettaient encore ton sang
tu appris des langues étrangères,
établis des liens,
et les anses du sac que tu tortillais
de mains agitées sur tes genoux
aussi calmes que ceux de ta mère,
étaient les tefillins du Juif en prière.
C’est en Irlande, à Dublin, plus précisément, qu’Inge rencontre son mari, le physicien Werner Israël. Ils seront mariés 61 ans. Inge et Werner ont un fils et une fille : Mark (décédé) et Pia (Ralph Archibald). Deux publications révèlent la collaboration de Werner Israël avec la sommité scientifique qu’est Stephen Hawking : General Relativity: an Einstein Centenary Survey (Cambridge, 1979) et Three Hundred Years of Gravitation (Cambridge, 1987). Au fil des ans, les deux familles se lient d’amitié au point où Inge est entourée de Stephen et Werner pour marquer ses 80 ans.
Certaines pièces, des poèmes et quelques-uns des récits d’Inge Israël sont diffusés sur les ondes de la BBC, de la CBC et de la SRC. Malcolm Forsyth et Violet Archer, deux professeurs de musique à l’Université de l’Alberta à Edmonton, composent des pièces musicales à partir de plusieurs de ses poèmes. Des poèmes ludiques pour enfants font partie d’un recueil réunissant des compositions musicales de Violet Archer et des textes d’Inge Israël.
C’est en 1958, Inge s’établit à Edmonton (AB) et y habite jusqu’à son déménagement à Victoria (C.-B.) en 1996. Entre temps, elle fait de nombreux séjours à l’étranger où elle donne des causeries et présente des lectures de textes en français et en anglais. Notons que la poète et dramaturge écrit dans la langue qui correspond le mieux à son inspiration. L’année 1996 est aussi une année remarquable pour l’autrice, car sa pièce Clean Breast /Seins Innocents sera présentée à Edmonton en anglais par Workshop West et en français par l’UniThéâtre. Cette pièce est également traduite en japonais et publiée au Japon. Deux poèmes extraits d’Aux quatre vents traitent, dans un premier temps, des prairies, puis, dans un deuxième, d’un séjour au Japon.
La prairie (Alberta)
Cette fenêtre sur le monde
fait voir surtout le ciel,
c’est une aune d’espace-temps
qui mesure des années-lumière
et tout ce qui existe
entre deux sauts quantiques
où la tendresse
est hors de propos.
Que toucher de ma main ?
Les nuages voguent haut,
indifférents à la gravité,
le vent hurle
sans aucune trace de voix,
les orages magnétiques
déchirent l’horizon.
Même la réponse de Dieu
se perd sans écho
dans les mâchoires du vide.
La geisha (Kyoto)
Le ventre du soleil
pèse sur sa fenêtre
et devient sa nuit.
Maintenant, sous un ciel noir,
son visage blanchi, équilibré
sur une tige fragile,
réfléchit les enseignes néon
et révèle ses yeux piégés.
Dans la Pontocho Dori aux volets fermés
les regards appuyés
sont des chiens sur ses talons
qui jappent : geisha !
…Un camélia blanc.
Rouges ou blancs
ils ne s’effeuillent jamais
mais perdent la tête entière.
Inge Israël continue d’écrire durant toute sa vie et publie en 2016, trois ans avant sa mort, un mémoire intitulé Finding the Words (Palimpsest Press). Elle y réunit ses pensées, ses intérêts, ses passions et la rencontre de ses parents il y a 100 ans en Sibérie dans des circonstances hors de l’ordinaire.
L’écriture d’Inge Israël est récompensée par deux reconnaissances prestigieuses: en 1993, le prix Champlain* lui est accordé par le Conseil de la vie française en Amérique pour son livre Aux quatre terres, et en1998, elle est nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres**.
* Le Prix Champlain encourage la production littéraire chez les francophones vivant à l’extérieur du Québec, en Amérique du Nord.
** L’Ordre des Arts et des Lettres « … est destiné à récompenser les personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution au rayonnement qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde. »
Quelques couvertures des publications d’Inge Israël
Livres
- Réflexions, poèmes, Ed. St.Germain-des-Prés, Paris, 1978. ISBN 2-243-00827-0
- Même le soleil a des taches, poèmes, Ed. St.Germain-des-Prés, 1980. ISBN 2-243-01134-4
- Aux quatre terres, poèmes, Ed. du Vermillon, Ottawa, 1990. ISBN 0-919925-52-9
- Raking Zen Furrows,[11] poésie, Ronsdale Press, Vancouver, 1991. ISBN 0-921870-05-1
- Unmarked Doors, poésie, Ronsdale Press, Vancouver, 1992. ISBN 0-921870-16-7
- Le Tableau rouge, nouvelles, Ed. du Vermillon, 1997. ISBN 1-895873-48-7
- Rifts in the Visible/Fêlures dans le Visible,[12] recueil de poésie bilingue, Ronsdale Press, 1997. ISBN 0-921870-45-0
- Ucho no Samon, Japanese translation of Raking Zen Furrows, Bungeisha Press, Japan, 2007. ISBN 978-4-286-03632-8
- Beckett Soundings, poetry, Ronsdale Press, to be published in March 2011.
Pièces
- Clean Breast, drama in 2 acts, Questex, 1999. ISBN 1-896913-23-7
- The Unwritten Letters/Wild Rhythm, 2 dramas, Questex, 1999. ISBN 1-896913-24-5
- Philosophy & Other Catastrophes, play, Questex, 2005. ISBN 1-896913-45-8
Essais, pièces, et poésie publiés dans des anthologies
- L’Ouest en Nouvelles, Editions des Plaines, 1986. ISBN 978-0-920944-64-6
- Sous le soleil de l’Ouest, Ed. des Plaines, 1988. ISBN 0-920944-71-X
- Iwanami Shoten, Tokyo, Japan, 1993.
- Eating Apples, NeWest Press, Edmonton, AB, 1994. ISBN 978-0-920897-79-9
- Littérature et culture francophones de Colombie-Britannique, Les Editions David, 2004. ISBN 978-2-89597-025-5
- Sweet Lemons 2, Legas of Mineola, New York & Ottawa, 2010. ISBN 1-881901-76-9